Histoires de mères « suffisamment bonnes »

Je vais vous  conter l’histoire de mes amies de jardin d’enfant,  mais qui ont été des mères pour moi et que je ne pourrais jamais remercier assez de m’avoir tutoré avant internet, parce que j’avais une mère  défaillante. Ce sont des françaises   originaires de la classe moyenne, bien souvent plus aisées que leurs grands-parents, et qui ont travaillé.

Ces mères ont-elles été de mauvaises mères pour leurs propres enfants : non, j’en doute !  Elles ne fumaient pas trop, ne buvaient pas trop, elles faisaient le job, fêtaient les anniversaires avec force gâteaux et petits copains, allaient aux réunions des parents d’élèves, et ont payé les scolarités tant bien que mal.

La première  a eu trois enfants, un seul compagnon pas très présent,  et pour finir les mois, elle a fait jusqu’à dix heures de ménage par jour durant une longue période, avant de faire autre chose d’un peu moins fatiguant,  mais elle est restée fidèle au poste,  tout en faisant pousser ses légumes pour nourrir toute la famille.  Sa fille ainée, avec laquelle elle avait une très bonne relation, qui a fait de belles études et qui gagne bien sa vie  a émigré  et a cessé tout d’un coup de lui parler  : donc elle ne voit plus ses deux petites filles ; son fils ainé vit chez elle  depuis de longues années, et elle ne voit ses deux autres petits enfants que lorsque son second fils, le cadet, n’a vraiment plus personne pour les garder,  bien qu’elle les nourrissent du produit de son jardin, parce qu’il passe en courant d’air,  toute les semaines se ravitailler.

La seconde qui a travaillé entre ses grossesses,  a eu trois enfants de trois maris différents, deux sont morts, (c’est ce qu’on lui reprocherait),  un des trois fils a émigré au Canada : c’est l’ainé des garçons, le plus gentil, celui sur lequel elle pouvait compter ; le cadet, après lui en avoir  fait voir – bien qu’ils aient vécu dans un foyer  ou rien ne manquait- maintenant  en couple avec un enfant , ne lui parle plus ; la troisième, l’ainée ne lui téléphone que rarement parce qu’elle lui reproche de ne pas les avoir défendu de la sévérité de ses deux beaux-pères. Donc,  elle ne voit pas ses petits- enfants.

Ma troisième amie, qui  a eu deux enfants, un qu’elle a dû laissé à la garde de son père lorsqu’ils se sont séparés, le second qu’elle a élevé seule en travaillant, après que le père l’ait quitté,  un temps  aide-maternelle entre autres métiers, se trouve dans la situation suivante : l’ainé qui a beaucoup voyagé,  l’adore et elle a régulièrement des nouvelles de ses petits enfants, qui réussissent brillamment ; le cadet qui vit tout à côté avec une jeune femme de dix ans sa cadette, a eu cinq enfants en sept ans, que sa  jeune compagne ne veut pas confier à la garde de la grand-mère  paternelle ; mon amie qui n’a pas l’intention de se laisser mettre de côté  prend sa voiture une fois par semaine,  pour les voir une petite heure au jardin d’enfants où son fils les emmène. Elle n’est pas reçue,   on  ne l’invite ni pour les fêtes ni pour les anniversaires, et on refuse de venir  chez elle.

J’ai une quatrième amie, d’un milieu  aisé  qui a eu une fille unique qui est partie  au Canada, où elle  vit avec son compagnon avec qui elle a eu un enfant :  le plus ironique  est que mon amie  s’est occupée de sa propre mère et de sa belle-mère qui ont vécu très âgées, mais qu’elle ne voit quasiment plus sa fille unique.

J’ai eu une autre amie, instit puis professeur de gymnastique, qui  s’étant mariée très jeune,  a eu sa fille après ce qu’elle a appelé « le viol » de son mari ;  lorsque sa fille l’a giflée,  comme sa mère  lui reprochait d’être revenue de vacances seulement un jour avant ses examens ; longtemps après, ses devoirs accomplis, mon amie est partie et ne  lui jamais plus donné de nouvelles,  jusqu’à sa mort à plus de 90 ans.  Paradoxalement, elle aimait nos conversations, car me disait-elle, cela lui permettait de comprendre la génération de sa fille, preuve que celle-ci lui manquait.

Je pourrais encore en citer quelques autres. Quelle serait la conclusion de tout cela, alors qu’on lève le voile sur ce qui se passe dans l’intimité des couples, et les rapports incestueux : de plus en plus de jeunes femmes ne veulent plus d’enfants, pas   plus  que des hommes.

On peut philosopher, avoir des rancœurs, penser qu’on n’a pas eu la meilleur  place dans la fratrie,  on peut se sentir le « mouton noir », mais lorsqu’on a eu un foyer, une éducation sans problèmes de mœurs, des opportunités qu’on a peut-être sous estimées,  il faut  dire comme Donald Winnicott* l’a écrit,  qu’on a eu une mère « suffisamment bonne » car elle nous a  permis d’en arriver là où l’on est,  que de ce fait c’est déjà bien, et mettre notre petit ego de côté, pour la remercier.

Il y a des devoirs sacrés. Il ne suffit pas de parler d’amour : il faut donner des preuves d’amour. Noël est le bon moment pour les réconciliations avant qu’il ne soit trop tard.

 

*Donald Winnicott est un pédiatre et psychanalyste anglais  célèbre pour cette notion « good enough » traduite en français par « suffisamment  bonne », qui est la capacité d’être normalement dévouée. En effet,  il considère que la nécessité pour que l’enfant devienne autonome, est de ne pas le combler totalement, parce qu’il peut retirer les bienfaits d’un peu de solitude. Et il pose la question sur le trop d’amour,  la fusion, mère- enfant, qui  peut être nuisible.

Lire « la mère suffisamment bonne », un livre facile de cent pages, chez Payot.

Lire : « méres-filles », une relation à trois de Caroline Eliacheff & Nathalie Heinich, un livre facile et très éclairant, chez Albin Michel, 400 pages

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