En mémoire des combattants de 14/18 : l’armistice

 …Le lendemain, arrive l’ordre de départ pour rejoindre la batterie qui va repartir vers le front, avec nos nouveaux canons.

De nouveau sur la route,  nous changeons de secteurs constamment. On dirait que depuis que nous avons les canons, nous sommes plus en avant : il y des fois où nous sommes près des fantassins. Notre batterie s’en tire toujours indemne. Il ne manque cependant pas de coups durs : des tirs, des prises à partie par l’ennemi.

Nous étions près de Mourmelon en batterie et, j’ai toujours ignoré le nom réel* de cette attaque, menée par les boches et qui a été rompue, surtout par l’artillerie française

Le 13 juillet 1918,  depuis deux jours nous marchons en caravane pour aller occuper un secteur présumé centre d’attaque futur. Nous étions partis à cinq heures, avions fait beaucoup de kilomètres avec nos chevaux. Nous traversons le village de Mourmelon le grand et le petit, la nuit commence à tomber, on ne rencontre personne : c’est sinistre et abandonné, notre colonne avance lentement car nos chevaux sont exténués – les pauvres, ils trottent depuis ce matin, avec tout le bardas, canons, chariots à obus, chariots avec les caisses à fusées, les caissons avec les servants – et nous ne nous sommes arrêtés qu’une petite heure, pour manger.

Le temps est beau : c’est la veille du 14 juillet et le secteur est calme, d’un calme qu’on n’a pas vu depuis longtemps, qui nous change avec ce qu’on vient de quitter. Cela ne dit rien de bon, c’est précurseur d’un tintamarre futur, les boches pourraient nous fêter le 14 juillet à leur façon. Nous arrivons : nous sommes à sept kilomètres des lignes allemandes, ça fait une distance et, nous n’étions pas habitué à ça depuis l’acquisition de nos nouveaux canons : le dernier secteur nous étions à trois kilomètres.

Malgré notre fatigue, à dix heures du soir, il faut mettre les canons en place, faire une plate forme : pioches, pelles, madriers, sont manœuvrés avec diligence. Pendant ce temps, les chevaux ont été dételés, et ramenés par les conducteurs, qui doivent camper non loin dans le village. Nous sommes dans une ancienne batterie, qui a été sonnée il y a longtemps, car il y a des abris tout démolis, et il y a des trous d’obus, partout, mais comme il fait nuit, nous ne voyons pas grand-chose.

Après ce travail de mise en place nous allons sans doute goûter un repos bien mérité. Pas encore, car il faut décharger et mettre en place les obus, les fusées,  (un millier) : quel supplice, on ne sent plus nos jambes, et nos bras, ces obus qui pèsent vingt kilos nous en paraissent le double, car on en met trois sur nos épaules pour aller plus vite. Enfin tout est en place, et demain on nous a promis un menu spécial. Nous verrons.

Je dis à Néné, qui malheureusement a été versé à la 4ᵉ pièce, en remplacement d’un type blessé : « tout cela est trop beau pour durer, dormons au plus vite, au cas où on serait dérangé durant la nuit ». Nous tombons comme des masses.

Le 14 juillet 1918 : rien de spécial, nous avons eu un sommeil tranquille, il est six heures, d’habitude on se lève à quatre. Nous avons eu un bon repas : daube, pommes frites, biscuits et un quart de champagne, la goutte et un cigare, dans le calme, le soir pareil.

Nous travaillons au renforcement des plates-formes, des pièces, installations des obus à l’abri ,mais c’est tout. Étant allé au PC dans la journée en estafette d’ordres, j’ai vu le Capitaine Saclier s’installer là bas, à la façon de quelqu’un qui s’attend à quelque chose et, lui seul le sait. Maintenant, nous avons comme chef d’escadron le Lieutenant Plat, celui que j’imitais si bien dans la pièce Loriot : notre bon Saclier** n’est plus notre chef de batterie étant passé au 138ᵉ RAL. Il est huit heures et, on se croirait en paix, à la campagne. Nous allons nous coucher de bonne heure.

En pleine nuit, je commence à entendre très assourdi, car nous sommes dans des abris souterrains, comme un roulement de tonnerre prolongé et sans arrêt, ce qui ne trompe pas. Il y a une attaque quelque part : « ça va barder, voilà le feu d’artifice qui va commencer ». En effet, la sonnerie du téléphone de pièce retentit et, déjà nous savons à quoi nous en tenir : on enfile nos souliers, la seule chose que l’on quitte, mettons notre casque, et le chef de pièce qui est déjà arrivé annonce : « à vos postes, n’oubliez pas vos masques ». Nous sortons en rampant un par un, car au dehors ça tape de tous côtés, nous gagnons nos pièces respectives, et nos postes en attendant l’ordre qui va venir. Nous qui étions persuadés d’être seul dans ce secteur, c’est un tintamarre de toutes parts.

Nous sommes entourés de batteries, on entend des grosses pièces derrière nous, des 75 en avant,  d’autres de côté, des fusées éclairantes s’élèvent de tous côtés. Le chef de pièces doit hurler pour faire entendre ses ordres. On commence à régler la pièce sur un point donné, cela est difficile car les boches nous envoient des 150, qui pour le moment tapent derrière nous, mais dont on entend les éclats ronfler à nos côtés ; le réglage est long car nous sommes nouveaux dans ce secteur, et nous voyons mal les coups, ou du moins l’officier qui nous réglait doit ne pas s’y retrouver facilement dans cette mêlée d’obus tapant de partout. Pendant ce temps, les autres batteries, tapent et, les obus boches tombent de plus en plus prés de nous. Il est une heure du matin le 15 juillet 1918*.

Enfin le réglage est mis au point : ordre de tirer 150 coups par pièce ! Il ne faut pas être distancé dans les coups à tirer par les autres pièces de batterie, c’est l’orgueil du chef de pièce et des servants, et cela malgré le danger.Je suis artificier, je choisis les obus de calibre et de percussion demandés, un coup de brosse à graisse, prendre la fusée demandée, le viseur et passer le tout au pourvoyeur, qui la remet au tireur qui charge la pièce. Il faut faire ce travail en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.

Au 40em coup, nous sommes déjà   noirs de fumée comme des charbonniers, et comme il fait nuit seuls les éclairs nous font entrevoir nos figures. Finit la prudence, on ne peut pas faire attention aux éclats d’obus, passant prés de nous et sifflant dans leur course ; c’est à la grâce de dieu ! Il y a même des bombes tombant des avions qui éclatent autour, nous ne pensons plus à nous protéger, du reste le boulot est là, et il faut le faire, et les boches aussi prennent des marmites françaises ! Ayant observé notre plate-forme le lendemain, au grand jour, j’ai constaté qu’elle était parsemée d’éclats d’obus, et je me dis que c’est bien un miracle de ne pas avoir été touchés, alors que nous avons manœuvré toute la nuit !

Nos 150 coups terminés, nous somme en attente et en nage, le vacarme continue : les tirs allemands sont moins nourris, on peut le voir maintenant qu’on est arrêté, mais c’est angoissant de ne rien faire. Des ordres arrivent : les boches ont avancé de quatre kilomètres et ne sont plus qu’à trois kilomètres de nous. Nous ne pouvons plus tirer, il faut que nous nous repliions en faisant sauter les pièces ! Pour le moment, nous recevons l’ordre d’aller chacun dans notre « cagna » à notre tour pour préparer notre sac, et c’est embêtant car j’ai une valise dans laquelle j’ai des objets auxquels je tiens beaucoup, et que je serais obligé de laisser, afin de m’alléger.

Le jour arrive, le 16 juillet, il est 4 h 30, on nous prépare un jus que l’on boit avec délice, dans notre quart, et sur la pièce, la roulante est aussi ici dans un abri précaire et, l’on va avec notre brot recueillir le jus, pour la pièce entière,  avec cela un bon quart de gnôle pour chacun, cela ravigote. Le tintamarre n’a pas cessé, les batteries d’alentours tirent toujours et on ne s’entend presque pas parler. Le tir des boches est plus espacé, mais tape aussi à côté de nous.Voilà, les ennuis qui recommencent.  Comme j’ai suivi des cours de téléphoniste, je suis appelé au PC, pour réparer les lignes téléphoniques partant de la batterie du PC du capitaine. La ligne est coupée et nous sommes isolés,  le téléphoniste du PC ayant été blessè : c’est encourageant pour moi ! Quelle corvée, avec ce que ça tape, pourvu que je n’y laisse pas ma peau, moi aussi*. Heureusement, j’ai  confiance en mon étoile: me voilà parti laissant mon sac à mes camarades. Je ne garde sur moi que mon bidon, avec un peu de gnôle dedans, que je n’ai pas bu, une musette avec un bout de pain et mon masque à gaz, un pistolet de défense, au cas où je ferais une mauvaise rencontre.

J’ai du chatterton, un gros couteau de poche, une pince, et du fil téléphonique.  Je n’ai même pas d’appareil d’essai car il est au PC, je dois chercher la coupure en suivant la ligne au toucher. Cette ligne est dans une légère tranchée de 0.30 de profondeur. Au point où j’en suis, je ne fais plus attention, au danger : la preuve, je suis la ligne en grignotant un morceau de pain, tout en buvant un peu de gnôle, je fais pas mal de plat-ventre, quand un obus boche tape un peu trop près de moi, mais que diable distinguer ici, car ça tape autour, et lueurs à droite et à gauche des obus allemands. Je ne m’attarde pas car j’ai hâte d’avoir fini cette mission pour me mettre à l’abri. Que de recommandations à dieu, chaque fois que je me mets par terre, cela ne m’empêche pas de grignoter quand même. J’enrage de ne pas de ne pas trouver la coupure.

Je finis par la trouver, j’avais peur de l’avoir manqué au premier passage : la coupure est tout prés du PC.   Je fais la réparation qui se trouve juste dans un abri fait par un trou d’obus, abri précaire, mais je me dis que rarement deux obus tombent au même endroit : épissure, chatterton, etc, et voilà c’est terminé, ça n’a pas trainé. En arrivant au PC, comme je suis tout près et qu’ils n’ont pas encore remplacé le téléphoniste, je suis gardé à ce poste. Là, on se sent à l’abri, s’il n’y a pas de ligne coupée…

Avant l’armistice du 11 novembre 1918, la poursuite commence à partir de Saint-Denis  où nous sommes en position depuis huit jours, chose étonnante, car depuis ce jour nous ne faisions que changer de secteurs. On commence la veille à tirer toute la nuit, sur des carrefours, ce feu cesse à 1 h du matin, au moment où nous allions nous coucher, fatigués.

Après 6 h de sommeil, on nous alerte à sept heures : « à vos postes ». On tire de nouveau jusqu’à midi,  un feu bien nourri de toutes les batteries même avoisinantes, on se demande si c’est une nouvelle attaque… mais non, on nous annonce à 3 h de l’après-midi que les boches se replient en vitesse, et on ne sait où ils sont, l’infanterie ne les a pas encore trouvé.

On comprend que pour nous, c’est l’avancée et ses tracas, on nous fait porter les obus sur la route, car ce chemin de travers où nous sommes est trop boueux pour les chariots. Nous faisons ainsi plus de vingt voyages chacun, avec trois obus sur le dos , à 900 mètres de la route, 1800 mètres d’aller-retour, plus légers au retour, bien sur, en  s’enfonçant jusqu’à la cheville. On finit ce travail à minuit et demi, entre temps on a mangé sur le pouce. On pourrait penser que c’était le moment de nous reposer : « pas du tout ! », on nous donne ordre de nous mettre en tenue de marche, et d’aller de nouveau prendre le départ pour une route inconnue. Sans repos, avec cette fatigue, on peut juger de notre moral, mais les boches sont loin et, il est urgent de les poursuivre.

On amène les avant-trains et les attelages arrivent, il faut bien sortir les canons de cette ornière, les chevaux aidant et nous, poussant aux roues, nous arrivons sur la route solide, et nous voilà sortis d’affaire. Les routes sont minées, et la nuit est noire, il est à peine deux heures du matin, il faut éviter les grands trous de marmites et en plus, on patauge dans la gadoue jusqu’aux chevilles : notre chariot s’enfonce plusieurs fois dans les trous d’obus, à chaque fois, c’est les jurons des conducteurs, nous de pousser aux roues :  « quelle nuit ! » 

On continue à marcher jusqu’au jour et on n’a pas dormi : enfin, on dit de faire halte. Nous sommes dans un espèce de patelin appelé Dormans,  où l’on met les batteries provisoirement. On est prêt à tirer en attendant les ordres, on casse la croute, bien arrosée. Nous sommes sur un champ, et le repos se prolongeant, nous étendons notre capote par terre et, on essaie de dormir un peu pour se reposer en baillant.Un avion qui passe à cinquante mètres, au-dessus de nous, et qui porte une cocarde tricolore qui nous met en confiance, mais il se met à nous mitrailler. On se cache comme l’on peut sous les caissons d’obus, sous les chariots ou sous les pièces et, il n’atteint personne. 

Sur des ordres, étant mitrailleur de la batterie, je monte une mitrailleuse sous un arbre, mais plus de boches. Nous tombons  de sommeil, voilà trente-six-heures qu’on ne dort pas, et encore, il faudra tenir jusqu’à ce soir, à condition que la nuit soit calme. Le soir, on nous annonce qu’on ne peut plus tirer, les boches se sont encore retirés plus loin, on monte nos tentes à quatre et, l’on se couche sur le mince gazon, il ne fait pas chaud, mais nous dormons quand même.

A cinq heures, debout ! Il faut reprendre la poursuite, on ne marche pas longtemps, il fait beau temps, on s’arrête au   village de  Bertrancourt. On se met en position d’attente, car la position que nous devons occuper est encore tenue par les boches, et en plus, les ponts viennent de sauter, impossible de passer. Le génie n’a pas le filon pour reconstruire des ponts provisoire, car les boches arrosent la rivière de pruneaux de tout calibres. Le soir arrivant, nous allons nous coucher dans les ruines de l’école, nous dormons mal, car on se couche sur le carreau avec la toile de tente et la capote, ça manque de ressorts ! On se réveille les reins brisés.

On part de Bertrancourt à dix heures du matin, on fait un long détour pour éviter le pont sauté, on passe par de mauvais chemins, les chevaux aussi sont fatigués, il nous faut marcher à pieds, et pousser aux roues des canons. Enfin, on arrive à Monceau-Lès-Leups, à cinq heures du soir, les boches viennent à peine de partir dans la matinée à dix heures. On se retrouve avec l’infanterie, qui est étonnée de voir des artilleurs avec elle : heureusement, le brouillard nous cache, et les boches ne nous voient pas passer : ils sont sur la crête en face à 1800 mètres, leur artillerie est très active et, tape de toute part, on ne sera pas fixé dans ce secteur.

On se met en haut du pays en batterie, les boches nous sonnent comme il faut : des « 150 » qui nous dégringolent , on n’a pas d’abris, on se cache comme on peut  : qui derrière un arbre, qui à plat ventre sous le canon, au risque d’être écrasé : on entend les éclats d’obus ronfler près de nous, si le moral des civils est bon (d’après le journal que j’ai reçu ce matin) le nôtre est très bas, en ce moment. Les boches, s’arrêtent pendant une bonne demi-heure, mais ils ont lancé quand même des obus à gaz, et nous devons mettre les masques.

Cela nous ennuie car on voudrait bien pendant cette accalmie, se construire une tranchée : « avec le masque rien à faire, c’est à peine si on peut respirer ! ».   Les gaz s’étant dissipés tout de suite, on en met un coup, mais on manque d’outils, car le chariot est resté en panne en arrière. On travaille tout de même ferme, car on se dit que la guerre va finir, nous transpirons, mais ce n’est pas cela qui nous arrête.

Décidément, les boches ne veulent pas nous laisser travailler, ils remettent ça, les obus tombent encore, on n’a pas fini notre trou, on met encore les masques, et on reste à plat ventre, et personne ne dit mot : on pleurerait de rage, d’être obligés de rester là, à se faire bêtement tuer à ne rien faire ; ça s’arrête, on se remet à la tranchée, on redouble d’ardeur, la tranchée s’abaisse ; ça recommence encore une ou deux fois durant la nuit, ils ne sont pas commodes ! Ils doivent nous voir, il fait pourtant sombre.

On ne tire cependant pas, car nous sommes la batterie la plus avancée du secteur, devant les « 75 », nous les « 105 » à tirs rapides, mais d’artillerie lourde…On se couche accroupis les uns sur les autres, dans la tranchée toute humide ; comme nous sommes pièce de garde contre les gaz, c’est-à-dire « pièce qui doit veiller », un homme durant une heure chacun, et réveiller les autres en cas d’attaque.

Il est dix heures du soir et la roulante n’est pas encore arrivée depuis ce matin dix heures, donc nous avons depuis douze heures, le ventre vide ! La roulante arrive à minuit et demi, ça tape de partout : les boches nous sonnent,  le cuistot sur la route a eu sa roulante embourbée dans un trou d’obus, ils ont du la sortir à deux seulement ! On a tellement faim, que nous sortons quand même de nos trous, le ventre vide  maintenant depuis quinze heures, mais un peu de soupe nous fait du bien, un peu de viande et du pain, pas de vin, un peu d’eau, et nous regagnons notre malheureuse couchette. Le comble est qu’il se met à pleuvoir, alors on se couvre avec notre manteau, j’ai le derrière dans l’eau qui coule le long du corps, mais mon sommeil est plus fort.

Comme nous voyons le jour arrivé, nous sommes quand même réveillés par le froid, mais nous nous relevons avec joie,  de nos mauvaises positions et, nous repérons une maison où l’on pourrait se coucher, pas à l’abri des marmites, mais on sera au sec. Nous allons chercher de la paille en avant, les boches qui nous voient eux aussi, sont réveillés, de bonne heure et nous canardent avec des petits « 77 », des obus qui sifflent comme des sifflets d’enfants, mais on passe quand même en courant, notre paille sur le dos, pour ce soir , au cas où on pourrait en profiter, car on ne sait jamais. A quoi bon,  comme je le prévoyais, on reste quatre jours dans ce pays et, on n’y dort guère : on tire le canon toutes les nuits, on arrive à se reposer le matin, avant la soupe.

Nous en avons marre, car on prolonge encore notre séjour de deux jours, à tirer toutes les nuits, les boches ont l’air de vouloir prendre pieds, on ne se couche qu’au petit jour : toutes les nuits ce sont des tirs, de part et d’autre, de véritables duels d’artillerie, nous tirons pendant une demi heure, et les boches nous répondent aussitôt à leur tour, de nouveau.

On a consolidé notre abris précaire, une tranchée bien profonde  -je pense à ma mère qui me disait que c’était mauvais de passer les nuits à faire la noce – aussi nous avons des têtes de déterrés, une barbe de neuf jours, pas d’eau pour nous laver, ni pour boire, et pas de pinard non plus ! J’ai la colère, recevant des nouvelles des civils, qui disent que les communiqués sont bons, et que la guerre va finir, mais nous on ne voit pas la vie en rose.

Enfin, les deux jours qui suivent sont meilleurs, on les passe à Monceau-lés-Leups : les allemands viennent de reculer et, ils ne tapent plus sur nous, mais ils tirent dur sur les ponts de la Serre.

Le génie ne peut reconstruire, et on ne peut avancer. Ici ce sont les avions qui viennent nous bombarder la nuit. « Quelle vie ! Vivement la fin ». On en arrive à souhaiter la mort, pour en finir de ce cauchemar.

Mais ils nous ont laissé de belles récoltes de choux, des champs entiers de choux qu’ils ont planté : après avoir été examiné avec soin par les docteurs, ils nous ont permis d’en user : le cuistot nous fait de bons plats de viande avec choux, salades de choux, soupe de choux, et même choucroute. Enfin, unmatin on nous annonce qu’il faut poursuivre l’ennemi qui a enfin reculé, mais ils ont miné partout, il y a des mines sur les routes : que de convois sautent sur les mines !

On voit des cadavres, des chevaux déchiquetés, éparpillés, du sang partout dans les caniveaux, des macchabées allemands, et français mélangés : un spectacle impressionnant, mais il faut marcher et faire attention en même temps. Un capitaine de cavalerie du poste de commandement avec ses deux officiers d’ordonnance viennent de sauter sur une mine, à quelques minutes devant nous : les trois chevaux sont par terre, coupés en morceaux, et les trois cadavres recouverts provisoirement d’une toile de tente, les sangs coulant encore sous la toile, nous passons et nous pensons : «  ils nous ont peut-être évité de sauter nous-mêmes ».

Nous arrivons à Mesbrecourt : les boches l’ont ypérite dans la nuit avant de filer. Il ne faut rien toucher ; après une longue attente, sur la route, nous nous mettons en batterie : nous ne sommes pas plus heureux qu’à Monceau-Lès-Leups, puisque les boches tapent devant nous, mais nos tirs ne sont pas malheureux, car nous n’avons pas encore été repéré ; on tire toute la nuit, il pleut encore,  je suis désigné pour aller au devant à cent mètres pour abattre un gros pommier en avant de la pièce,  qui gêne le nouveau tir.  » Rude travail qui ne se fait pas tout seul,  rien qu’à la hache,  je  fais un mauvais bucheron, heureusement que je suis encore fort, car cette guerre nous a tout de même musclé !  » Je transpire car je me dépêche,  ne voulant  pas moisir sur cette crête, sous la pluie fine. J’en viens à bout,   mais cet arbre qui devait se voir va attirer une réaction !

Notre tir reprend et enfin on nous donne l’ordre d’aller nous coucher :  » mais où ? « .

On trouve une vieille masure toute démolie sans toit pour cette nuit, on repère des sommiers sans crin, on les adopte, mais on grelotte toute la nuit, car ils laissent passer l’air frais, et l’humidité, mais nous sommes quand même à certains endroits à l’abri de la pluie. 

Le lendemain, alors qu’on commençait à s’installer, il faut de nouveau changer de position, ce n’est pas facile car les boches tapent dur à et endroit, juste où nous devons nous mettre en batterie et, sur la route : le moral baisse de nouveau.

Sur la route, un obus tombe tout près de notre caisson, c’est un miracle qu’aucun de nous ne soit touché, les obus continuent à rappliquer. Nous partons au trot, les chevaux sont essoufflés, il faut marcher au pas, les obus s’échelonnent le long de la route, et des « 150 » !

Je descends encore une fois du caisson, j’aime mieux marcher à pieds, car on peut alors faire du plat ventre, qui évite tout au moins les éclats d’obus. ,Mes camarades m’imitent. Cependant, c’est l’ordre, il faut mettre en batterie,  décharger les obus, ce travail se fait en silence et presque en rampant pour éviter les éclats.

Les boches ont allongé le tir. Nous arrivons tant bien que mal à la position désignée et,  à notre arrivée, trois obus de « 150 » tombent dans le pré : des plat-ventre, dans la boue, n’importe où. Ici les boches ne veulent sans doute pas que nous mettions en batterie, car ça rapplique et, je ne me rappelle pas d’avoir fait autant de plat-ventre.

Cependant, c’est l’arrière, il faut, décharger les obus, ce travail se fait presque en rampant : les boches ontallongé le tir, ça tape derrière mais des éclats rappliquent aussi. La nuit arrive de nouveau : on recommence à creuser des tranchées de protection. Il faut en mettre un coup, il fait clair de lune, les gothas (avions boches), viennent nous bombarder.

*Les blessures que l’on prévoyait être à 80% par balles furent en fin de compte causées à 70% par l’artillerie avec des conséquences terribles (plaies béantes souillées par la terre source de gangrène gazeuse, mutilations de toutes sortes…). Le conflit laissa, outre 1,4 million de morts français, plus de 1 million d’invalides (amputés, mutilés, aveugles, gazés, gueules cassées, névroses de guerre). L’objectif et la priorité du service de santé des armées était de remettre les soldats sur pied (les « reconstituer » ou les « régénérer physiquement et mentalement » selon les termes de l’époque) pour les renvoyer combattre. Les 9,2 millions de soldats passés par les structures sanitaires furent blessés ou malades entre 2 et 3 fois chacun en moyenne et 90% retournèrent au service actif après avoir été soignés. On peut dire que la guerre fut gagnée grâce au retour dans les lignes de ces anciens blessés. Mais avant d’arriver dans les hôpitaux de l’intérieur, les soldats blessés durent endurer un calvaire en raison d’une organisation chaotique du parcours de soins depuis la ligne de front et de moyens de transport mal adaptés aux grands blessés (trains sanitaires, ambulances automobiles).

* En quatre ans, 14 millions de chevaux, ânes et autres mulets, participent à la Première Guerre mondiale pour le compte de tous les belligérants. La plupart sont réquisitionnés. Lors du déclenchement de la guerre, 520.000 équidés sont mobilisés en 17 jours. En août 1914, 460.000 sont mobilisés. Mais au fil de l’avancée du conflit et des morts, de plus en plus d’équidés sont importés par bateau des États-Unis, de Grande-Bretagne ou d’Argentine. La France dépensera près d’un milliard pour les faire venir . La République manque de pattes : pour déplacer les canons les plus lourds, il faut jusqu’à 178 chevaux. Près de deux millions sont incorporés à l’armée française et immatriculés. La moitié mourra entre 1914 et 1918. 130.000 pertes sont enregistrées rien que dans les trois premiers mois de combat. Ce n’est pas tant sous les bombes et autres projectiles que ces bêtes de somme meurent, que de froid et d’épuisement. Beaucoup ne survivront pas à la malnutrition : en mai 1917, l’État-Major est obligé de se séparer de 100.000 chevaux à cause du manque de nourriture. D’autres finiront ensevelis vivants dans la boue des champs de bataille. En 1917, les Américains installent une immense base avancée au nord de Dijon, à Is-sur-Tille. Ils construisent à Lux, un village voisin, un dépôt de remonte. C’est dans ces centres que sont dressés les chevaux , en fonction de leur future affectation. En 1915, on compte 17 dépôts de remonte en métropole :

 

 

Nota : voir le récit complet dans les archives du blog en  Juillet  et Août 2022, avec des moments plus gais, ou moins tristes.

 

 

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