L’enfance d’un soldat de 14/18 – le phonographe – 5

« Entre temps, mon père avait décidé d’aller habiter le deuxième étage parce que nous grandissions. Cet événement déclencha une grande dispute, avec mes parents et les Assu ; ces derniers, n’étant pas contents que nous les lâchions, ce qui leur laisserait le loyer à payer en entier.

Nous nous fâchâmes jusqu’en 1917 avec Candide, qui se montra fort en colère. Il faut dire que Candide avait mauvais caractère, et je pense que c’était à cause de la vérole qui lui grêlait le visage.

J’avais à peine trois ans quand Candide avait attrapé cette maladie : comme les Canova, grand pére et grand-mère, oncle Pépin, et tante Marie habitaient une grande villa au Mont-Boron, il fut décidé que mon père, ma mère, Betty et moi irions habiter avec  eux, pour éviter la contagion.

Le mont Boron, c’était la campagne : on y faisait de belles parties de pique niques, avec l’oncle et la tante, des photos. Ma mère m’ayant confectionné un costume de zouave, pour la mi-carême, mon oncle Pépin me photographia, avec ce costume et un petit fusil. Il avait écrit sur le sable, « ici on ne passe pas : di cui non si passa ».

Quand nous sommes revenus à la rue Bonaparte, Candide était guérie, je me souviens qu’elle nous montrait des images par la vitre de sa fenêtre, car on ne nous permettait pas encore de rentrer dans la maison. Puis nous sommes rentrés car mon père avait terminé son congé. Le docteur nous mis à l’aise, car il n’y avait plus de danger de contagion. Mais Candide resta grêlée toute sa vie.

Nous vécument au second étage, fâchés avec ceux du premier et avec les voisins et amis nommés Blanqui, qui s’étaient ralliés aux Assu. La chambre sur le devant devint celle de ma sœur ; quant à moi, je pris la chambre de gauche, sur le devant. Les parents prirent la chambre sur cours, au-dessus de notre ancienne salle à manger, au milieu nous installâmes une belle salle à manger car elle était plus grande, l’alcôve étant réduite à un placard penderie,  et nous y fîmes mettre l’éclairage au gaz, ainsi que dans la cuisine.

Mon père était content, car ayant acheté un phonographe à cylindre comme on faisait dans le temps, il faisait jouer des airs d’opéras italiens, bien près de la fenêtre ouverte, afin de faire écouter les voisins, et Pronto le concierge à chaque disque disait, « bis, bis », et mon père était heureux.

Ce phonographe on devait le remonter à la manivelle à chaque morceau de musique, c’était tout un travail pour un son aussi nasillard, mais pour le temps on s’en contentait et on trouvait cela très bien.

Ma mère aussi était  heureuse, car elle aimait bien son Jean, et cela lui suffisait.

Depuis que nous étions au deuxième étage, on aurait dit des nouveaux riches,  Maman se mettait sur son trente et un le dimanche matin, car c’était sa seule sortie dans le quartier. Elle ne faisait que descendre l’escalier pour se rendre chez l’épicier, près de notre porte, pour acheter le lapin, car tous les dimanches nous avions notre civet, et le soir on le faisait rôtir avec des frites. »

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