L’enfance d’un soldat de 14/18 : l’architecture – 6

« Souvent nous sortions avec Costa le fiancé de ma sœur.  Le dimanche  nous allions à Saint-Sylvestre , une campagne au-dessus de Nice. On allait à la cascade de Gairaut, au vallon obscur, ruisseau très obscure où le soleil n’entrait jamais.

Au bout de ce vallon, il y avait de petites guinguettes où l’on mangeait des pan bagnas, et où l’on dansait au son du piano mécanique. C’est là que nous avons appris à aimer la danse : ma sœur et moi, devions devenir des enragés.

A cette période, au lieu d’aller à l’étude de l’école supérieure de la rue St-François de Paul , je pris l’habitude d’aller place Cassini avec deux copains chez le marchand de glace et de bonbons, avec les trois francs de l’étude que me donnait mon père, pour que j’y fasse mes devoirs sous la surveillance du professeur

Or, un soir , mon père qui avait pris un jour de congés,  rencontrant Costa, ils se mettent dans l’idée d’aller m’attendre à la sortie de l’école. Quelle n’est pas leur stupéfaction de ne pas me voir sortir ! « Votre fils n’est pas venu à l’étude ce mois-ci », leur dit le directeur ! A mon arrivée, inutile de dire que je reçu la semonce

A la suite de cela, j’en profitais pour dire à mes parents que ces études ne m’intéressaient pas, que mes notes baissaient car le dessin était ma vocation car j’étais toujours premier en dessin.

Un ami ,plus âgé, m’avait conseillé : « si tu veux persévérer dans le dessin, et être un jour architecte, il est inutile de perdre ton temps à apprendre l’histoire et la philosophie, l’École des arts décoratifs apprend en plus du dessin, les mathématiques, et tout ce qui a trait au métier de technicien,

Comme l’année était avancée, ma mère ne voulut pas que je lâche avant le brevet supérieur, mais je fus inscrit au cours du soir des Arts Décoratifs où je n’entrais que l’année suivante.

Ma vie était changée, le  jour j’allais à l’école, et le soir à sept heures après un repas léger, j’allais aux Arts Décoratifs de 7 à 9 h.  

Pour cette première année, je suivais les cours de dessin d’ornements, dessin géométrique, mathématique, géométrie et sculpture tous les soirs.

Je menais dès lors une vie mouvementée, car sitôt sortie de l’école St-François à 4 h 30 de l’après midi, il me fallait bien vingt-minutes pour rentrer à la maison, bâcler mes devoirs et à 6 h 30 je partais pour les Arts déco, pour laisser libre court à ce que j’aimais.

Il y avait beaucoup d’élèves qui venaient là pour s’amuser aux dépends des professeurs. Il y avait Palu (math, dessin linéaire, perspective,) qui était pris à parti, et recevait quelquefois des tomates et des oranges sur le tableau, ce qui le mettait dans de grandes colères, et le faisait devenir tout rouge. Il y avait de vrais voyous que se faisaient renvoyer.  

Je commençais pour de bon, l’année suivante. Les cours commençaient à 7 heures du matin. A 9 heures ils étaient terminés, et de 9 h à midi, il y avait le cours libre, c a d que ceux qui voulaient travailler,  étaient libres de dessiner des modèles et des projets.

En entrant, j’appris que tous les bizuts devaient passer à des brimades : des anciens te tenaient, et ils te peignaient les parties. soit à l’or soit à la dextrine*. Lorsque j’appris cela, je fis tout de suite une lettre au directeur de la part de mon père,  en disant que je signalerais cela au ministre. Aussitôt  une lettre du directeur parue, disant que tout acte de brimade passé contre les jeunes, serait punis du renvoi de l’école.

Bien sur, j’entendis des chuchotements, et je vis   des regards posés sur moi, devinant qu’il se tramait quelque chose  Je sortis mon compas pointe sèche, long de 30 cm, je le plantais sur ma planche et je déclarais : « le premier qui me touche, recevra ce bout de fer en pleine figure ».  Personne ne m’a touché. Cela se passait généralement au cours libre, quand il n’y avait plus de professeur, qu’un seul très vieux pion était là pour surveiller plusieurs cours à la fois, les peintres, les sculpteurs, etc.

Mais, comme de mon côté j’avais trouvé une place de débutant chez un architecte, nommé CUGGIA,  rue Georges Clemenceau, je ne restais plus aux cours libres.

A 9 h, à la fin du cours d’architecture, je courrais rue de la paix et allais chez l’architecte, pour la pratique. Je rentrais à midi pour manger chez moi, puis j’y retournais jusqu’à 17 h 30, et je retournais aux Art déco de de 19 à 21 h, excepté le dimanche.

Je n’avais plus un moment de liberté. »

Écrit par 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.