L’enfance d’un soldat de 14/18 – vie de famille – 4

Je reviens au temps où nous vivions à deux familles sous le même toit, au premier  rue Bonaparte. Il y avait chez nous, mon père , ma mère , ma sœur et moi : nous avions la chambre de devant à gauche, qui était celle des parents, quant à nous ma sœur et moi, nous couchions dans la salle à manger sur  cours.

C’était vraiment fantastique,  quand nous recevions des gens dans cette salle à manger, devenue table d’hôtes, qui prenait toute la place. Les fêtes terminées, on pliait la table, on défaisait le lit  pliant de ma sœur, et on faisait le lit pour moi sur le canapé.

Il y avait une grande alcôve qui avait une fenêtre sur la salle à manger, qui était la chambre de ma grand-mère, une brave femme qui travaillait beaucoup sans se plaindre, mère de ma mère et d’Éve.  Quelquefois durant la nuit, nous entendions des bruits, mais c’était ma grand-mère qui rouspétait, car on l’empêchait de dormir.

Les deux pièces de devant à droite étaient occupées par la famille de la sœur de ma mère. Cette famille était composée du père, mon oncle François  qui travaillait en livrant des liqueurs, qu’il ne se privait pas de boire. Ma tante Eve travaillait à la manufacture de tabacs qui était à deux cents mètres.

Le soir, elle revenait de son travail en bavardant avec  une voisine : c’était sa promenade quotidienne. Elle avait deux filles Germaine un peu plus âgée que ma sœur, qui ne mettaient jamais la main à la patte et Candide, qui travaillait dans un magasin, toujours bien habillée, mais que la variole avait laissé un peu grêlée. Candide jouait avec nous, car elle devait avoir le même âge que moi.

C’est ma grand-mère, qui venait du Piémont, qui faisait les courses, lavait le linge,  le ménage, la cuisine, et tous les travaux de la maison pour tout ce monde. Nous partagions tous la même cuisine qui était mal éclairée par un calen,  pendu au-dessus, sorte de boite de fer avec de l’huile et une mèche de coton, qui brulait toute la journée, et empestait,  car nous avions pour faire la cuisine deux « potagers » en fer, avec lesquels on cuisinait avec du charbon de bois.

Il se présentait le plus souvent sous la forme d’un petit fourneau en maçonnerie percé sur le dessus de trous carrés munis de grilles, sous lesquelles on plaçait les braises prélevées de la cheminée.

La salle à manger était la chambre au milieu, sur le devant, ou un lit était posé au fond  et où les deux sœurs couchaient. Les parents dormaient dans la chambre de devant.

L’alcôve où couchait ma grand-mère avait une grande baie, et une rembarde – à environ un mètre de haut  donnant sur notre salle à manger : souvent nous prenions une grand planche à repasser, et la posant sur ce muret, nous faisions du tobogan avec les copains du quartier. Nous y faisions aussi du théâtre.

Souvent ma mère qui était très bonne, nous régalait à quatre heure d’une bonne salade niçoise, avec des tomates, anchois, champignons au vinaigre, poivrons.

Les deux familles s’entendaient assez bien, car les parents n’étaient presque jamais à la maison, et si plus tard nous nous sommes séparés pour aller au deuxième étage, et leur laissant l’appartement entier,  c’était parce que nous grandissions ma sœur et moi, et qu’il nous fallait une chambre chacun.

Dans cette salle à manger que j’appellerais plus tard « lieu de prouesses », nous faisions pour Noël et pour le jour de l’an, ou  à la saint – Jean de grand banquets sur la table, qui dépliée prenait toute la place, à plus de quatorze convives, avec la visite de la famille de Francesco , mon oncle.

Il y avait ma marraine et tante, prénommée Mélanie, leurs deux filles Emma et Yolande, qui avait respectivement à cet époque trois et cinq ans , et aussi la sœur de ma mère ma tante Éve.

Il y avait le frère de Francesco, Livio,  venant d’Italie : inutile de dire qu’il y avait de l’ambiance. Le cousin Livio qui était marin chantait à tue tête, et tout le monde reprenait en cœur. Ces jours-là, la grand-mère avait passé la veille et le matin, à préparer une table entière de raviolis, et de pets de none, dont on se régalait.

Les deux filles de Francesco nous furent confiés, la plus petite Gilda à ma mère et celle de cinq ans, Emma, à tante Éve. Nous les couchions et les nourrissions pendant que leurs parents étaient partis au dehors pour travailler. Inutile de dire que cette situation était comique et que nous étions de plus en plus serrés, mais nous étions enfants nous amusant de tout cela…

Un peu plus tard, ma mère qui nous avait annoncé la naissance d’une petite sœur, a pris la chambre au-dessus de notre salle à manger au deuxième étage. Cette sœur nous ne l’avons vu que morte car le bébé, trop grand, s’était étranglé avec le cordon.   L’homme préposé au cercueil était retourné deux fois, car la sœur était trop grande…

Un autre fait qui nous a marqué, fut le mariage de la troisième fille d’Eve qui ne vivait pas avec la famille. En effet, un vieux ménage, monsieur et madame C qui étaient sans enfant, avait pris chez eux Marie, qui y vivait comme une princesse. Ils avaient un grand appartement, bien meublé, dans la rue de l’hôpital,  et elle fut demandée en mariage à seize ans, par le secrétaire de Mairie, pour devenir madame Canta.

Pour aller au  mariage qui fut célébré au-dessus de Nice,  il fallut prendre un petit tortillard, ou embarqua toute la noce. Je me rappelle d’un repas avec la pièce montée,  et d’un vol au vent.

Mais le soir on nous a appris que le petit train avait déraillé, qu’il y avait des dégâts, et que le départ était le lendemain matin. Toute la noce fut logée dans un hôtel alors que personne n’était équipé pour passer la nuit  et à cause du  manque de place, nous dûmes nous serrer, à trois ou quatre dans des chambres, qui étaient en nombre insuffisant.

*Les noms et certains prénons ont été changés