L’enfance d’un soldat de 14/18 : les deux abricots – 1

Cette vie, est celle de mon grand père paternel, dont j’ai retranscrit le journal de guerre en août 2022, que certains d’entre vous ont apprécié. Ce sont quelques souvenirs qu’il a écrit en juillet 1964 (Mes meilleurs souvenirs par Jean)

Leur intérêt vient du fait que c’est la vie  à Nice, à une époque révolue, puisqu’il y est  né en mai 1896  (voir thème ).

On pourra voir dans son enfance, les voies d’une destinée toute tracée, qui en a fait une personne que je regrette encore. Son entrée à l’école se fait au tournant du  vingtième siècle.

« Les souvenirs d’enfance sont toujours amusants, et nostalgiques à la fois car il rappellent notre tendre jeunesse et les faits qui nous ont vraiment frappés , marqués dans notre mémoire, nous faisant encore sourire.

A la prime jeunesse , nous étions ma sœur et moi liés d’une tendre et solide affection, nous ne faisions pas un pas, pas un geste sans l’assentiment de l’autre. Je me rappelle que ma sœur qui était mon ainée fut élève entre sept et huit ans au collège Stanislas à Nice, dans le boulevard Carnot,  dirigé par les sœurs et, comme je n’avais pas cinq ans et que les écoles communales ne prenaient pas les enfants de cet âge, j’y fus  envoyé quand même.

La première fois que j’y entrais , je me faisais trainer, car je n’avais jamais à ce jour quitté les jupons de ma mère qui était couturière à la maison.

On me faisait conduire en classe par une apprentie, très grande et d’un caractère peu  bileux, Marie Michel qui portait bien son nom, qui me faisait faire de nombreux arrêts sur le chemin, de sorte que nous arrivions toujours après le début et ce malgré les remontrances des sœurs et de ma mère.

C’était en route soit un casse-croute qu’elle partageait assis au bord du trottoir, soit un lacet de soulier cassé, qu’elle réparait lentement, soit une flânerie autour des vitrines  ou des marchands de marrons. Marie trainait toujours autant, c’était toujours du temps de pris pour elle sur le travail que lui faisait faire ma mère.

Je partais toujours avec un petit panier, où il y avait une ardoise et un crayon, le gouter, composé d’un bout de pain et d’une barre de chocolat. Un jour, un enfant se trompe de panier et tout étonné se met à manger ma barre de chocolat, tandis que moi timide à quatre ans et demi, je me met à manger deux beaux abricots bien murs. Ce petit  était lui privé de chocolat, alors tous les deux nous nous regardions manger avec un sourire béat, en nous régalant !

Pour rentrer , soit à onze heures soit à quatre heures, les sœurs nous accompagnaient en rang, jusqu’ la place Saluzzo, pas loin de chez nous, qui étions à ce moment-là, rue de Villefranche (rue Bonaparte).

Ma sœur est restée au collège jusqu’au CEP, et ensuite  est partie suivre les cours à l’école supérieure de la rue de Lunel. Quant à moi, je fus envoyé à l’école communale de la rue Barla, où avec le français j’appris aussi à parler le dialecte niçois, ce qui faisait le désespoir de ma mère qui n’aimait pas nous l’entendre parler, alors qu’entre eux ma mère et mon père le parlait. Mon séjour à Barla fut sans histoire, c’est là que je pris mon CEP (Certificat d’études Primaires) , puis je la quittais pour une autre école qui menait au Brevet supérieur, rue St-François-de-Paul.

Mon père qui était employé aux tramways de Nice, menait une vie pas trop agréable, c’est sans doute  cette raison qui l’a rendu  sévère et rébarbatif par moments. Mais en ce temps-là, les ouvriers travaillaient dix à onze heures par jours. Mon père faisait trois fois par semaine le service de nuit, pour la sortie des théâtres, prenant son service à quatre heures de l’après-midi, sans rentrer manger , aussi ma sœur et moi, apportions à son point de départ au tramway sur le port de Nice  vers huit heures du soir, un repas composé d’une omelette en sandwich dans une miche de pain, avec une petite bouteille de vin. Il ne rentrait qu’à une heure trente du matin, après avoir compté la recette et l’avoir porté au caissier ,  avoir rentré la voiture au dépôt à la gare de Riquier à plus d’un kilomètre de chez nous, par des rues obscures, mal fréquentées, et pour tout dire peu rassurantes.

Tout en étant bougon, c’ était un homme sobre et tempérant. Il savait économiser pour avoir tous les ans un petit congé de quinze à vingt jours, dont nous profitions. Le travailleur de cet époque devait économiser, s’il voulait avoir des vacances. Il n’y avait ni sécurité sociale, ni semaine de quarante heures, ni congés payés.

Nous faisions des piques niques à Notre-dame de Laghet. On prenait le tramway jusqu’à la Trinité et ensuite nous avions sept kilomètres à faire à pieds, pour atteindre le monastère, et cela ne nous faisait pas peur. On m’a dit que j’ai fait ce trajet à trois ans sans me plaindre.

Cette église était très fréquentée, il y avait des cadres partout de souvenirs de gens et enfants qui étaient guéris de maladies ou d’infirmités, par miracle disaient-ils. Pour nous, c’était une journée de détente. Quelques fois, nous étions en bandes, avec d’autres amis, des voisins ou des parents, et nous mangions au restaurant où l’on nous servait un grand plat de pâtes à la tomate et au fromage, avec un gros civet de lapin. A cette époque, je n’aimais pas le fromage, que j’ai fini par manger en 1943 !

Nous allions  à Eze ou à Beaulieu au bord de mer, sur les rochers et on se baignait à demi-corps, et on mangeait des arapédes qui s’accrochent au rocher.  On mangeait sur place un grand pan bagna fait de tomates, de thon, d’anchois, de poivrons et d’œufs durs. Le soir, nous mangions les arapédes et  faisions bouillir les bigorneaux pour les sortir de leur coquille. Pour nous, c’était un vrai régal.

 

 

Nota : Né à Nice en 1807 (la ville faisait  partie de l’Empire français depuis la révolution  en 1789), c’est la ville de Garibaldi.

Alors que le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel II de Savoie (1820-1878) et Camille Bens de Cavour (1810-1861), son Premier ministre depuis 1851, tentent d’unifier l’Italie du Nord (Risorgimento) au profit de la Maison de Savoie, l’attentat du révolutionnaire italien Orsini contre Napoléon III en janvier 1858 décide l’empereur français à se rallier à leur cause. Lors de l’entrevue de Plombières en juillet, Cavour lui promet le comté de Nice et le duché de Savoie contre son aide militaire. Après les batailles sanglantes de Magenta et de Solferino contre les Autrichiens en juin 1859, Napoléon III signe unilatéralement en juillet un armistice semi-victorieux à Villafranca : le royaume de Sardaigne ne s’agrandit que du Milanais, Cavour doit démissionner, et la question de Nice et de la Savoie reste en suspens.  Par le traité de Turin du 24 mars, Paris accepte  l’expansion territoriale sarde en échange de Nice et de la Savoie et par plébiscite en avril, les populations votent à une large majorité pour le rattachement à la France.