Quelquefois nous passions rendre visite aux parents de mon père : là nous rencontrions une grande maisonnée. Il y avait d’abord la tante Marie, une femme brune assez jolie, bigote, et pince sans rire, ayant toujours un mot aigre à vous servir, qui disait-on avait été délaissée par son fiancé, parti en Amérique.
Ensuite, il y avait oncle Pépin, qui était un vantard qui n’avait jamais fait grand-chose, sous prétexte qu’il était peintre : il faisait de temps en temps un portrait mais comme cela ne devait pas le nourrir, il vivait toujours chez ses parents.
Il y avait aussi l’oncle Fortuné, le plus jeune, qui avait une jolie voix de basse et qui a été tué à la guerre en 17. Ces trois étaient les fils et fille, de la seconde épouse de mon grand-père, qui les flattait.
Quant-à sa première épouse que nous n’avions pas connu , ma sœur et moi , elle était parait–il belle et gentille et, c’était ma grand-mère, la mère de mon père et de sa sœur, ma tante Christine, la femme du rédacteur en chef du journal « Le petit niçois » que nous ne fréquentions pas, car mon père s’était fâché avec elle.
Mon grand- père, le plus gentil, avait été capitaine au long cours sur un cargo qui faisait la navette entre Marseille, Nice et la Corse. Il était petit et trapu, avec une grand barbe blanche, jaune près de la bouche, car il fumait la pipe et chiquait du tabac : il est mort à 94 ans.
Notre visite chez eux, se passait toujours sur une grande terrasse, qui faisait angle, entre la rue St-Barthélémy et Malausséna. Nous apportions du tabac au père, des gâteaux, du vin et nous trinquions il va sans dire avec beaucoup de bruit et de bagout, surtout de la part de l’oncle Pépin qui chantait : il avait une voix de basse qu’il forçait à volonté, disant « j’ai un fort coffre ».
Quant à mon grand-père, il avait la marotte de m’appeler Napoleone, car il disait que je lui ressemblais … peut-être était- il bonapartiste.
Oncle Fortuné est mort dans une attaque à la baïonnette sur le front, il avait à peine 23 ans. Avant son départ, lors d’une permission, il avait assisté à un pugilat entre sa sœur, sa tante, et sa fiancée : ma tante Marie l’avait accompagné à la gare, il s’est trouvé que sa fiancée était venue aussi. Or comme après avoir embrassé sa sœur, Fortunée s’attardait dans un long baiser pour sa fiancée, ma tante Marie, jalouse sans doute, au moment où le train démarrait, se prit de dispute avec elle. Quel spectacle pour ce pauvre garçon, qui ne devait plus revenir.
Oncle Pépin a définitivement convolé avec une petite couturière qui devait travailler pour nourrir toute la famille, puisqu’il continuait à peindre sans vendre grand-chose. Nourrir est le mot, puisque Pépin, qui avait gros appétit, se vantait de pouvoir manger douze douzaines de raviolis. Lorsqu’il venait chez nous, il dévorait toutes les réserves de ma mère, à son grand désespoir.
Quant à tante Marie, elle s’est flétrie en travaillant toute sa vie dans le plus grand magasin de la ville.
* les noms et certains prénoms ont été changés