12 – La guerre de mon grand-père : la Saint-Jean

Comme nous nous arrêtons à environ 2 kilomètres de la petite ville, nommée Romilly-sur-Seine, nous nous promettons Néné, Versini et moi d’y aller un soir, pour souper dans un restaurant : nous nous ferons la belle, quand la corvée des chevaux sera terminée. Ainsi fut fait : le lendemain, je me suis dit que notre escapade n’avait pas été brillante : après la marche de toute la journée, (25 km), on s’est tapé encore plus de 2 km pour retourner à Romilly, comme on avait rencontré un Margis de notre batterie, nous l’avons invité à diner.Après un souper ordinaire, un peu plus soigné que notre popote,  sans histoire, nous sommes retournés fatigués, pour finalement pas grand-chose. S. nous dit que ça barde pour notre matricule, car on a signalé notre escapade.

C’est le 23 juin 1918, veille de la St-Jean, ma fête : je me souviens au moment du départ, des fêtes d’avant guerre à Nice, avec la famille, et cela me donne le cafard.

Le départ est donné à cinq heures trente, mais on ne va pas loin, on doit s’arrêter à quelques kilomètres de Nogent-sur-Seine, dans un petit hameau entre Pont-sur-Seine et Crancey : nous y arrivons à dix heures et, il fait rudement chaud.

Nos belles pièces de 105 Schneider à tir rapide, nous attendent, elles sont parquées sur la place du pays.

Après un tour de la grand rue, où la population nous accueil avec des applaudissements, nous arrêtons un cantonnement, qui est situé dans le pays même dans une espèce de ferme. Après toutes les corvées, on nous annonce qu’on a huit jours de repos pour apprendre la théorie du nouveau canon et, on nous donne la liberté de l’après-midi pour nous installer et faire un peu de toilette.

Le soir, S nous apprend que nous avons une belle cagnotte, avec le vin du tonneau, et que nous allons fêter la St-Jean, au bistrot du pays. « Si je m’attendais à cela ! » 

Comme la soupe est assez bonne et, qu’à sept heures du matin nous sommes libres, nous nous rendons au bistrot du pays, qui est bien ma fois : il y a un jardin avec des tables sous des tonnelles. Il y a aussi des camarades des autres pièces de la batterie, rien que des poilus. Nous commençons par une tournée générale de vin blanc, et comme c’est moi le chanteur, j’y vais de mon répertoire général. Je m’aperçois que j’ai tapé dans l’œil de la fille du patron, Marthe : elle vient auprès de moi et me demande le titre des chansons et, si je ne connais pas celle-ci ou celle-là.

Déjà, les clients sont entrés dans le bistrot, il y a des cavalières, et un piano mécanique marchant avec des sous : nous ouvrons le bal avec M et, comme nous avons bu des tournées de Cointreau  et de Bénédictine, je commence à vaciller quand je valse, et M a du mal à me retenir quand je pars en arrière. Je continue à chanter entre les danses et, mon répertoire de plus de vingt chansons y passe au complet. M ne me lâche plus, chanter donne soif et nous consommons J’aperçois des regards jaloux, chez les petits gradés, surtout le petit Margis, que nous appelons le « dandy », car il est toujours tiré à quatre épingles, et parle pointu.

Enfin il est tard, la nuit est déjà tombée, nous sommes complétement éméchés, M m’a dit d’un air naïf que je suis un  cavalier idéal, que je chante bien, que j’ai une belle voix, et que je suis bien de ma personne : « rien que ça » !

En tout cas, je suis vraiment saoul, car si j’ai beaucoup chanté, j’ai beaucoup bu, et pas que du vin : des liqueurs ! Mes camarades n’ont pas chômé, la cagnotte du vin a été un peu là, et pour une saint Jean, c’est plus que je rêvais le matin au départ ! Après promesse de ce revoir le lendemain, car en huit jours, on aura le temps de faire mieux connaissance. On regagne nos plumards qu’on a bien mérités.

C’était trop beau pour que cela dur cette joie, il fallait que ça finisse ! Je n’avais pas tort d’être inquiet des regards de jalousie du Margis, que j’avais remarqué malgré ma soulographie.

Le matin du 24 juin 1918, je reçois ainsi que Néné et Versini, un motif de huit jours de prison, pour avoir déserté (le mot est fort) le camp, la nuit d’avant : « ça y est, nous payons la sortie à Romilly , nous ne sommes pas allé bien loin, pour ne pas nous amuser comme hier soir , mais on en a profité pour m’éliminer auprès de M., par un mouchardage au capitaine. Ce qui m’ennuie, c’est que mes copains paient pour moi. »

Si on était au front, ces « conneries », on n’ en aurait pas parlé, mais ici ils veulent nous faire faire ces huit jours. Nous recevons ordre de ramasser nos frusques et, on nous apprend que nous serons enfermés dans une espèce de remise. Adieu les promesses d’hier soir et M. : tant pis ce sera pour une autre fois ! Nous prenons la vie du bon côté, car sommes toutes, il vaut mieux être dans une remise à l’abri que sous les marmites  boches. Les quelques jours que nous avons passé enfermés nous ont paru monotones, mais reposants.

On écrit beaucoup : aux parents, à la marraine de Paris, et aux autres, on lit aussi beaucoup. J’ai reçu un petit mot de M, mais que faire…  autant laisser tomber ! Nous enfermer pour quelques jours de repos bien mérités, alors que nous venons de passer des jours affreux au front !  Dans quelques jours on sortira de nouveau et après ni vu ni connu .

On sortait seulement du cagibi, pour étudier avec les autres, la théorie du nouveau canon. C’est une belle pièce et, plus léger que le 120 L – long – et moins encombrant. Plus de cingoli, plus de glissières, ni de coins de retour. Il recule une seule fois, l’affut se plante en terre  la première fois, et, ne bouge plus. Par moyens de ressort, il peut se pointer à droite ou à gauche ; le recul se fait aussi par glissière, et ressorts et revient en position normale, on tire plus vite, et avec moins d’efforts, c’est le 75 avecun plus gros calibre, les obus sont chargés avec douilles, au lieu des gargousses du 120.  

Bref, nous irons plus à l’avant et, seront en plus grand danger.

 

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