6 – La guerre de mon grand père : brigadier ?

Le lendemain au réveil après le jus, je vois mieux la batterie, les pièces sont comme à Reims sur une plate forme avec des protections devant et par côté. L’emplacement est une batterie préparée par des pionniers du génie et tout est bien fait, il y a des « sapes », sortes de passages souterrains pour se protéger et  rejoindre les autres pièces  et au besoin le PC et les cuisines ; les abris à obus sont à côté de la pièce et enfoncé sous terre.

Chaque abri à coucher est relié à un passage  souterrain communiquant avec chaque pièce. Je commence à reprendre contact avec la pioche, et la pelle, car  ici il parait que c’est calme, les boches croient la position abandonnée et ne tirent presque pas ; nous non plus du reste, aussi nous continuons à consolider, et à améliorer les abris, souterrains. Il nous arrive des planches et des madriers, c’est une véritable entreprise de construction : on élargit les galeries, puis on coffre, avec des planches et des montants. Le travail est monotone par équipe : l’un pioche, l’autre pelte, cela ne nous empêche pas de parler  de nos affaires, et de fumer une cigarette de temps en temps.

Tous les petits métiers ont leur atelier à l’abri dans la sape avec une aération par le haut  ,  reliés à la sape générale qui relie  les pièces et les abris de couchages. Il y a notre cuistot, notre bottier, notre tailleur, un petit rouquin notre infirmier Ponthonne, auquel je dois une fière  chandelle.

L’été 17 tirant à sa fin, le sol commence à se couvrir de feuilles ce qui est bien pour le camouflage. Pour ainsi dire, nous passons l’automne et même l’hiver sans être beaucoup inquiétés. Nous avons de temps en temps quelques attaques la nuit où nous tirons plusieurs coups en vitesse, et le calme reprend Nous ne sommes pas encore repérés car nous tirons la nuit et avec beaucoup d’autres batteries, qui sont autour de nous. Les réponses des boches sont soit trop longues, soit trop courtes.

Voici le deuxième hiver que je passe au front. De nouveau, la neige ! On est désigné pour aller à l’arrière dans la journée pour faire des travaux de tranchées en cas de replis. Nous partons le matin, avec notre musette et allons à pieds à six kilomètres , près du village de Bovencourt.

Ici on mène la vie des ouvriers, on travaille, le midi on mange notre repas froid : la fumée est repérable, pas question de faire chauffer. De temps en temps passent des avions boches, mais nous sommes camouflés dans une forêt. Des obus tombent, mais on se met à l’abri de nos tranchées et on laisse passer le bombardement, le plus dangereux est le retour par de petits chemins muletiers où l’on est bombardé. Un soir en revenant du chantier, pour regagner notre batterie, nous sommes pris à partie par des tirs de harcèlement, nous finissons en rampant en nous flanquons par terre.

Un obus de 150 éclaté pas loin à failli m’avoir, tandis que j’étais planqué dans un fossé, il rase mes fesses et vient se planter dans la terre près de moi. Les autres se mettent à courir car le tir est proche, mais moi je tiens à ramasser cet éclat, qui pèse près d’un kilo, qui s’il m’avait atteint…je le ramène encore chaud dans ma musette, je cours à mon tour, et quand un autre arrive,  nous sommes déjà loin. « On aimerait bien la petite blessure pour être évacué, mais pas celle qui donnerait surement la mort. »

Tout les quinze jours, on fait une fête aux camps des conducteurs qui se trouve à Pouilly. Aussi, je suis désigné par le capitaine pour aller chanter. Je pars le soir par le ravitaillement, c’est un samedi, et je couche dans les baraquements  avec les conducteurs. Ce soir là, c’est la fête car je trouve des copains niçois  et c’est une nuit tranquille sans alerte. Le lendemain, je peux me balader dans la petite ville où il y a quelques civils, quelques marchands. 

J’achète des cartes postales pour envoyer à mes marraines, des commissions pour mes camarades, et l’après midi, c’est le concert où je passe mon répertoire habituel. Je rencontre d’autres chanteurs, Ischer qui chante l’opéra à Marseille, et d’autres qui sont chanteurs de genre, d’autres qui disent des monologues. Ce concert se fait dans une grande baraque installée avec une scène constituée   de planches sur des  tréteaux : bien qu’il n’y ait que des poilus, l’enthousiasme est grand.

Le dimanche soir, après la soupe, je repars à la batterie avec le convoi de ravitaillement. Certes, cette détente est bonne pour le moral, mais c’est toujours la route qui est dangereuse, car les routes sont arrosées d’obus.

Dans ce secteur, la nuit nous tirons souvent de petites attaques qu’on appelle des « coups de mains », car les fantassins doivent sortir des tranchées pour faire des prisonniers. Nous devons bombarder les tranchées ennemies, pour que les nôtres puissent sortir. Cela se passe généralement, vers minuit et cela arrive  plusieurs fois par semaine.

Quelque fois nous sommes aussi tireurs de harcèlement sur les routes, et nous y passons la nuit*. A cause de ces attaques et, aussi pour veiller aux gens, on a établi une garde de nuit : une pièce par soir, monte la garde. A huit, cela fait environ une heure chacun, à passer dehors dans le froid, à claquer des pieds, car il y a toujours de la neige : on est seul, on pense au pays, à notre jeunesse gâchée par cette guerre, on regarde le ciel qui est illuminé par les fusées éclairantes que lancent les fantassins de garde, eux aussi.

Au moindre grondement de canon au loin qui annonce une attaque, ou bien en cas de bombardement au gaz, nous devons réveiller et avertir toute la batterie, en pleine nuit* ; mais souvent, c’est calme et, c’est la raison pour laquelle on se livre à d’amères réflexions en attendant d’aller réveiller le copain, qui doit prendre la garde suivante.

Plus d’une fois avec Néné, afin de tromper l’attente et d’être moins seul, nous avons pris la garde ensemble et, fait deux heures au lieu d’une, et on causait, on cassait la croute en buvant, on fumait une cigarette et le temps filait plus vite ! Un soir , sachant que Dumas avait reçu de son pays un gros saucisson, nous lui en avons barboté un morceau !

Un autre soir alors que j’étais allé à Pouilly pour mon intermède de chant, alors que je m’apprêtais à rentrer, ordre fut donné que je reste au camp pour remplacer le brigadier chef Capelle qui partait en permission et, qui ne sera remplacé par le maréchal des logis, seulement dans huit jours. « Les vaches ! » Me voilà remplaçant brigadier, moi qui n’ai jamais voulu de grade ! Mon travail n’est pas extraordinaire, car je dois tenir le bureau et trier le courrier, faire des bons de ravitaillement, soigner ce bon cheval de brigadier, le faire manger et boire.*

 

 

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