Reconnaitre les injonctions créant des souffrances mentales

Après le COVID,  beaucoup d’entre nous recherchent la compagnie, il est bon de repérer un mécanisme de communication   qui peut provoquer en vous des souffrances psychiques.

Ce mécanisme s’appelle la double contrainte, en français courant,  on dit souvent : « cette situation, c’est la double peine » !

Pour l’ illustrer, Gregory Bateson (école de Palo Alto cite  l’histoire de cette mère affectionnée*  qui offre à son fils 2 cravates, l’une bleue, l’autre rouge. Pour recevoir sa mère quelque temps plus tard, le fils va mettre la cravate rouge ce qui lui vaudra d’entendre « Tu n’aimes pas la cravate bleue ! ». Le week-end suivant, pour lui faire plaisir, il mettra la cravate bleue et sa mère lui dira « Tu n’aimes donc pas la cravate rouge ! ».

Il est donc toujours « perdant ». La capacité à se sortir d’une double contrainte dépend bien évidemment des situations et des ressources personnelles, on peut positiver  la double contrainte : il faudra   dire les non-dits,   oser l’humour,  « être créatif plutôt que réactif. »

Pour en revenir à l’histoire des cravates, cela pourrait consister à dire « Merci , tu viens de m’apprendre à être original car je vais porter désormais 2 cravates ». Tous les deux, pourraient prendre du recul par rapport à l’absurdité de la situation, pourraient, car l’ironie se marient mal avec celui qui inflige la double contrainte, s’il le fait volontairement.

Cette notion est étudiée dans le domaine de l’éducation parentale, les perturbations qu’elle engendre étant supposées à l’origine de troubles :   des parents divorcés exigent chacun un lien exclusif de la part d’un enfant, ce qui le soumet à deux demandes oppressantes qui se contrarient.

Cette situation peut se produire  entre adultes.  On nomme cette façon d’agir et de parler, une injonction paradoxale,   deux ordres, explicites ou implicites, intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre,  le fait d’être dans une situation impossible,  soumis à deux pressions contradictoires rend le problème insoluble . Cette double-contrainte peut se produire dans toute relation humaine comportant un rapport de domination, et particulièrement dans la communication émanant du ou des « dominants, donc dans la famille . On peut ainsi cacher un secret,  dont personne ne doit parler : « je suis violée par mon père »  « si je parle je ruine la vie de ma famille ». Ici il ne s’agit plus de cravates. La victime soumise à un chantage est sommée de ne rien dire, et cela produira un trouble à vie. Et on se demande comment cela se fait que les victimes ne parlent pas !!

On rencontre des mécanismes de double contraintes dans le milieu du travail, lorsque les missions assignées à une personne, ou un service, sont rendues quasiment impossibles par l’absence de moyens ad hoc ou par l’environnement : comme actuellement au niveau de la santé dans les hôpitaux en manque de moyens , personnes pour qui la désobéissance est impossible au nom d’un devoir sacré ou encore, lorsque la description détaillée des missions,  renferme elle-même des contradictions,   situation où  la désobéissance est impossible, ce qui crée une confusion, une colère, même une anxiété , chez celui qui doit exécuter l’ordre, car il est incapable de savoir à quelle information il peut  se fier. Imaginons un pompier qui n’a pas le droit d’intervenir seul sur un feu !

Sans la contrainte de l’obéissance, ou du devoir supérieur, ce ne serait qu’un simple dilemme, avec une impossibilité de décider plus ou moins grande. Quoiqu’il fasse celui à qui s’adresse cette double contrainte, n’a pas le droit de faire remarquer la contradiction. On en est réduit à l’impuissance et au silence , le subordonné qui se doit d’exécuter l’ordre se voit pris dans un paradoxe qui oppose l’obligation d’obéir à l’ordre de le faire, au besoin de respecter l’injonction liée au désir du supérieur hiérarchique de ne pas le faire.

Ce traitement utilisé quotidiennement dans la vie courante peut-être celui du pervers narcissique. En matière de manipulation, les caractères principaux de la communication dite perverse sont  la culpabilisation. Le but est d’ affaiblir l’autre, de le faire douter de ses pensées et de ses affects. La personne visée va perdre le sentiment de son identité, car il est question   de l’amener à une totale docilité, de la priver  de son sens critique et de sa capacité à se rebeller. Alors, seulement il sera possible de l’attaquer, pour la  soumettre. Cela peut conduire au burn-out : c’  est   une technique pour se débarrasser d’un salarié, d’un concurrent.

L’armée où l’on ne peut discuter des ordres qui peuvent s’opposer à votre propre éthique peut être l’occasion d’être piégé dans des injonctions paradoxales (la conscription  pour une  une guerre fratricide, qui est plus une guerre civile,  a poussé à la fuite des jeunes gens qui ne veulent pas s’entretuer).

Ceci existe aussi   dans une situation  qu’on s’est imposé à soi même, en s’ordonnant un choix impossible, dit cornélien, quand on met le devoir au-dessus de tout : « travailler et  faire des études », obéir au patron et aux profs, dans la même journée peut épuiser  si l’emploi du temps comporte deux obligations simultanées (un examen).

Actuellement,  nous ployons sous les injonctions paradoxales entre les publicités et les restrictions, entre la nécessité de se déplacer ,   d’aller travailler en ville mais sans se servir de nos voitures, devenues tout à coup  obsolètes à cause d’un décret, d’aller faire des contrôles de santé pour la prévention, sans médecins et de moyens de locomotion, etc.

Le tao a deux principes qui sont des aides à survivre à ces situations, sinon d’échapper à ces contradictions. « Quand je suis confronté à un problème, je m’entraine à le voir tel qu’il est et pas tel que je pense qu’il est. Ce ne sont pas mes émotions qui devraient dicter mon action.

Qu’est-ce qui est grave dans la vie ? C’est le regard que j’ y mets qui lui donne son importance. Je dois toujours me recentrer sur l’essentiel. Si j’épure, la vie devient beaucoup plus facile.

L’humour est nécessaire dans le non-agir et même dans la vie tout court. Il permet d’accepter ce qui semble inacceptable. Je ne me prends plus au sérieux, je prends du recul, mon égo se calme. Pour cela, je fais en sorte d’être détendu, quoiqu’il arrive. » 

Ici justement, le non- agir est  la grande question de l’injonction paradoxale, il faut donc avoir de l’humour, quand c’est possible.

 

* l’exemple de la mère  qui veut trop bien faire est un classique en psychologie.

 

 

 

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